Une loi nigérienne donne de vastes pouvoirs pour intercepter les communications

Le Niger a adopté une loi qui permet au gouvernement d’intercepter les communications, dans un cadre légal, avec un manque de contrôles indépendants et une protection insuffisante des droits de l’homme. Retrouvez la version en anglais de cet article ici.

Key points
  • Le pouvoir d'approuver une demande d'interception repose seulement sur le président nigérien.

  • Le Comité de contrôle, prévu par la loi, ne peut intervenir qu’après que la demande d’interception a été autorisée par le gouvernement.

  • Les opérateurs de télécommunications peuvent être obligés d’aider le gouvernement dans l’interception des communications.

News & Analysis

Traduction réalisée par Nadine Blum.

Le 29 mai, le Congrès nigérien a voté une loi permettant au gouvernement d’intercepter largement certaines communications électroniques. La loi rend légale l’interception de communications, autorisée par le gouvernement, sans protections appropriées ni mécanismes de contrôle.

La loi a été adoptée avec 104 votes pour – le Parlement nigérien compte 171 membres – et sans la participation de l’opposition qui a boycotté la loi. L’opposition a affirmé que la loi: 

permettra à ceux au profit desquels elle est adoptée de surveiller tous les Nigériens, ainsi que tous ceux qui vivent au Niger, sous de fallacieux prétextes, autres que ceux relatifs à la sécurité et la lutte antiterroriste.

L’opposition a ajouté : 

l’interception des correspondances des citoyens, même autorisée par la loi, doit être l’exception, et surtout motivée par de lourdes présomptions sur un individu.

La loi : une ingérence inacceptable dans la vie privée

Dans son premier article, la loi prévoit justement que le secret des communications – un des éléments du droit de la vie privée – est inviolable. Cependant, la législation accorde de larges pouvoirs pour que le gouvernement puisse exercer sa surveillance en négligeant la protection des droits de l’homme, notamment la proportionnalité entre les mesures et l’objectif recherché. Pas une seule fois la législation ne mentionne la proportionnalité, ou la nécessité d’envisager d’autres mesures moins intrusives avant l’autorisation d’une demande d’interception.

En d’autres termes, la loi ne demande pas au gouvernement de faire la part entre les avantages d’intercepter les communications d’une personne et le coût pour la vie privée de cette personne, privant ainsi de sens le droit à la vie privée. La loi permettrait à l’Etat nigérien de traiter les personnes, dont les communications sont ciblées, comme coupables jusqu’à preuve de leur innocence.

Voici 5 raisons pour lesquelles cette loi représente une ingérence inacceptable dans la vie privée :

 

1. La loi a une portée trop large

La loi permet au gouvernement d’intercepter les communications dans tous les cas où cette interception a pour objet une enquête dans les situations suivantes : atteinte à la sécurité de l’Etat et de l’union nationale ; atteinte à la Défense nationale et l’intégrité territoriale ; prévention et lutte contre le terrorisme et les réseaux la criminalité transnationale organisée ; prévention de toute forme d’ingérence étrangère et intelligence avec l’ennemi. Toute personne, pour laquelle il y a de sérieuses raisons de penser qu’une interception de ses communications permettrait d’obtenir des informations en relation avec les sujets évoqués, pourra voir ses communications légalement interceptées.

Ceci est problématique pour différentes raisons. D’abord, le cadre légal prévu par la loi est excessivement étendu et ouvert à beaucoup d’interprétations. Par exemple, une personne qui contesterait ouvertement le gouvernement serait considérée dans une ingérence à l’unité nationale. Ensuite, comme la loi permet des interceptions à des fins d’enquête, sans tenir compte des motifs raisonnables de soupçonner une personne, cela ouvre trop les champs d’application de cette loi. Un autre exemple : si une personne était considérée comme ayant un lien, même éloigné, avec des sujets relatifs à l’unité nationale, la loi permettrait au gouvernement d’intercepter toutes ses communications.

2. Il n’y a pas d’autorisation judiciaire préalable

Dans le cas idéal, toute demande d’interception devrait faire l’objet d’une autorisation judiciaire préalable à l’exécution de cette interception. La loi nigérienne présente un tableau très différent. Le Président a seul un pouvoir discrétionnaire pour autoriser une demande d’interception.

D’après la loi, toutes les demandes d’interception doivent être adressées au Président pour autorisation. Le pouvoir discrétionnaire du Président est très large : une demande peut être autorisée si elle a pour objet une enquête concernant l’un des quatre points évoqués, relatifs à la sécurité nationale, depuis l’ingérence étrangère jusqu’au terrorisme. Cela permet à l’exécutif d’avoir un pouvoir important et préoccupant sans un système rigoureux de contrôle législatif et judiciaire.

3. Il n’y a pas de véritable contrôle judiciaire indépendant

Bien que la loi prévoit une Commission pour vérifier toutes les demandes d’interception autorisées – la Commission Nationale de Contrôle des Interceptions de Sécurité – celle-ci n’a pas de véritables pouvoirs de contrôle. Ses vérifications ne peuvent se faire que sur notification du gouvernement dans les 72 heures qui suivent l’autorisation d’une demande d’interception. La mission de la Commission est très restreinte par cette obligation de notifications et ce délai de grâce de 72 heures, accordé au gouvernement pour informer la Commission de sa décision, est préoccupant. En effet, il est parfaitement possible pour le gouvernement, dans ce délai, d’autoriser une demande d’interception et de la faire exécuter.

Seulement trois des sept membres de la Commission doivent avoir des compétences judiciaires et tous les membres, sauf deux, sont nommés par l’exécutif. En l’état actuel de la loi, on peut s’interroger sur l’indépendance et la compétence des membres de cette Commission.

Les avis de la Commission ne sont pas contraignants pour le gouvernement. Dans le cas d’un désaccord avec la décision d’autorisation du Président, la Commission peut émettre une recommandation fixant sa position. Il n’y a pas d’obligation pour le gouvernement à suspendre une interception sur la base d’un avis de la Commission, et ignorer la recommandation de la Commission n’est assorti d’aucune sanction.

En conclusion, le rôle de la Commission comme organisme de contrôle indépendant est totalement illusoire.

 

4. Les opérateurs de télécommunications peuvent être obligés d’aider le gouvernement à faire les interceptions

La loi reconnaît que le gouvernement n’a pas forcément les moyens techniques nécessaires pour réaliser les interceptions. Dans ce cas, la loi autorise le ministre en charge des communications électroniques d’ordonner aux opérateurs de télécommunications de les aider dans les interceptions en leur fournissant des « agents qualifiés ».

Conformément à la loi, les opérateurs n’ont pas le choix de refuser de coopérer avec le gouvernement dans ces activités de surveillance, au risque d’avoir des pénalités. Le refus de coopérer est puni par des peines de un à trois ans d’emprisonnement et une amende exorbitante.

Ces dispositions permettent un accès au gouvernement à toutes les communications, reçues ou envoyées, par des personnes sur une plateforme non-chiffrée. Le cadre des communications auquel le gouvernement peut avoir accès est donc très étendu.

5. Aucune notification n’est prévue pour les personnes visées ni disposition en cas de recours

La loi ne dit rien sur une procédure de notification. Ainsi, il n’y a pas d’obligation pour le gouvernement à informer une personne de l’interception de ses communications, avant ou après l’interception. Cela signifie qu’une personne ne peut pas savoir si ses communications ont été interceptées à tort. De plus, la loi ne prévoit aucune disposition pour un recours légal des personnes.

En résumé, la loi rend impossible pour les personnes ciblées de demander des comptes au gouvernement pour ses activités de surveillance ou pour faire respecter leurs droits à la vie privée. Surtout, cela empêche considérablement le droit à un recours réel.   

Les risques pour la société civile au Niger

Ce n’est pas la première fois qu’une loi est utilisée au Niger pour faire taire les voix dissidentes. Ces dernières années, les organisations de la société civile nigérienne ont fait face à des restrictions croissantes dans l’exercice de leurs activités.

Depuis 2018, de multiples manifestations de la société civile ont été interdites par le gouvernement, pour des raisons d’ordre public ou des questions de terrorisme. Quand les manifestations se déroulent, les sanctions suivent rapidement et de manière sévère. Récemment, en mars 2020, beaucoup de défenseurs importants des droits de l’homme ont été emprisonnés après avoir participé à une manifestation qui dénonçait le détournement de fonds publics. Certains attendent encore d’être libérés, plus de deux mois après leur arrestation, et font l’objet de poursuites.

La loi sur l’interception des communications fait suite à une loi sur la cybercriminalité, promulguée en 2019, qui considère comme un délit le fait pour une personne de diffuser, produire ou mettre à disposition des informations à d’autres personnes, susceptibles de troubler l’ordre public. Selon Amnesty International, cette loi a servi à poursuivre en justice des activistes.

La loi sur l’interception des communications pourrait avoir une utilisation similaire. De façon préoccupante, le fonctionnement combiné de la loi sur l’interception des communications et de la loi sur la cybercriminalité pourrait voir des centaines de personnes poursuivies pour s’être exprimé librement sur ce qu’elles pensaient être un espace privé sécurisé. Cela va créer sans aucun doute un environnement inquiétant et menaçant dans lequel les personnes éviteront les forums consacrés à l’engagement citoyen par crainte de représailles.

Les capacités de surveillance du gouvernement en augmentation

Les pouvoirs du gouvernement accrus par la loi doivent être examinés à la lumière des capacités de surveillance du Niger, en augmentation.

Le Niger a reçu 11,5 millions d’euros de l’Union européenne (UE) pour l’acquisition et  la distribution de drones de surveillance, de caméras de surveillance, de logiciels de surveillance et de matériel pour l’interception des communications. Alors que ces subventions étaient données dans le but précis de lutter contre la traite des êtres humains, dans le cadre des mesures de l’UE pour freiner la migration depuis le continent africain, toutes ces capacités de surveillance peuvent être reconverties, notamment dans l’application de cette nouvelle loi.

De plus, dans le cadre du projet EUCAP Sahel Niger, le Niger reçoit actuellement une assistance de l’UE pour lutter contre le terrorisme et le crime organisé. Cette mission soutient aussi le Niger pour mieux contrôler les flux migratoires clandestins. Depuis 2012, l’UE a donné l’équivalent de 4,9 millions d’euros pour du matériel et la formation à quelque 13 000 membres des forces de sécurité et des autorités nigériennes dans différents domaines d’expertise, dont la surveillance et les enquêtes judiciaires.

Ce qu’il faudrait faire maintenant 

La loi accorde au gouvernement nigérien des pouvoirs bien trop importants en matière de surveillance sans protection véritable des droits de l’homme. Compte tenu de ces graves insuffisances et de l’intimidation permanente des défenseurs des droits de l’homme, PI considère que :

  • La loi permettant l’interception des communications devrait être abrogée.
  • De meilleures protections de la société civile devraient être mises en place.
  • L’UE devrait imposer un contrôle plus strict sur l’attribution de ses fonds dans la région du Sahel, en prenant en compte les bilans des droits de l’homme et les protections existantes de la société civile dans les pays bénéficiaires.